[Roman] Les oiseaux rares

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Auteurs : Hugo Paviot
Éditeur : Le Seuil
Nombre de pages : 220

Toutes les deux, elles savent qu’il n’y a pas de bonne éducation. Que l’important, c’est l’individu. Que le pouvoir ne veut pas s’adresser à des individus. On ne domine que les masses.

Les oiseaux rares ? Ce sont ces vies un peu oubliées, ces personnes laissées pour compte à qui la société ne fait plus confiance, ces gens hors du système classique, hors des normes rassurantes. Ce sont Shiem, pleine de colère qui reprend ses études à vingt-trois ; Achir, résigné, coincé en Algérie qui rêve d’ailleurs ; Émile, charismatique, et son imposant passé. Des pépites noyées sous la boue. Pas forcément des pépites en or, mais en quoi le bronze serait-il moins précieux que l’or ?
Les oiseaux rares ? Ce sont aussi ces hommes et ces femmes (surtout ces femmes dans ce roman) qui se tendent la main, leur tendent la main, s’écoutent, les écoutent, croient en la valeur de l’autre quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, où qu’il aille. Comme Hélène, prof d’un lycée alternatif, inépuisable de bonté et de générosité. Ou Rose, directrice de résidence autonomie où vivent Émile et Shiem.

On pourrait se contenter de dire que c’est un roman d’apprentissage où chaque personnage grandit au côté des autres. Ce qui est tout à fait vrai. Mais ce n’est pas seulement ça. C’est aussi un roman sur les dits et les non-dits, sur la confiance et l’amitié, le mensonge et le pardon. Sur l’espoir, le (poids du) passé, (le poids de) l’héritage. Sur la vieillesse, l’engagement, le déracinement, le décrochage scolaire mais le raccrochage humain.
Vaste programme, n’est-ce pas !

Pour ses élèves, il est parfois plus difficile de recevoir des compliments ou des encouragements que des reproches et des avertissements. La bienveillance peut passer pour du cynisme quand on n’y est pas habitué.

La première chose qui frappe à l’ouverture de ce récit, c’est le style minimaliste de l’auteur. Des phrases courtes, percutantes, pour un style haché qui exprime bien l’urgence de vie des personnages. La seconde, c’est l’absence déroutante de dialogues directs. Point de guillemets ou de tirets cadratins, les dialogues sont sans cesse inclus dans la narration. Un choix qui peut surprendre sur les premiers chapitres mais auquel on se fait très rapidement. La langue est directe, dans un style parlé qui oscille entre courant et familier. Beaucoup d’émotions à fleur de peau, de ressentis. À l’inverse, le roman ne déborde pas de descriptions, le minimum nous est livré et c’est bien suffisant.
Tous ces éléments donnent au récit un côté très visuel, très théâtral. On le voit presque, ce conteur sur scène, qui retranscrit ces tranches de vies.
Tous ces éléments, surtout, rendent les personnages particulièrement justes, réalistes et attachants. Particulièrement vivants. C’est d’ailleurs cet adjectif qui pour moi résume le mieux cette lecture Les oiseaux rares est un récit vivant.

On pourrait reprocher quelques facilités au roman (notamment une histoire d’amour assez convenue) mais ce sont des facilités qui mettent du baume au cœur, qui ne tombent pas comme un cheveu sur la soupe et qui ne dégoulinent pas de mièvreries. Alors on pardonne, voire même on apprécie que par moment, tout se passe comme prévu.

En bref, Les oiseaux rares est un roman tout simple, certes, mais qui nous fait passer un très beau moment aux côtés de personnages lumineux. Ce serait dommage de passer à côté !

En trois mots : Vivant. Touchant. Visuel.

PS : Je dois avouer que sans la précédente Masse Critique je serais très certainement passée à côté de ce roman. Ce qui aurait été fort dommage ! Même si Les oiseaux rares ne fut pas un  coup de cœur foudroyant, c’est un récit que j’ai pris un immense plaisir à lire.

[BD] Soon

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Auteurs : Thomas Cadène et Benjamin Adam
Éditeur : Dargaud (collection Vision du futur)
Nombre de page : 216

Aujourd’hui encore, pour beaucoup de personnes, science-fiction rime seulement avec espace, vaisseaux spatiaux, gros seins, beau graphisme mais histoire simpliste. Que récit futuriste sous-entend robot, bastons, gros seins, invasion d’aliens et guerre nucléaire sans chercher bien loin. Bien sûr, une grosse partie de la production éditoriale entre toujours dans cette lignée (du moins en BD, je suis bien moins à jour sur la production littéraire même si j’en lire encore) et si les récits peuvent parfois être sympa à lire (des défouloirs jubilatoires qui ne demandent pas trop de réflexions), la plupart du temps, c’est lassant. Les histoires tournent en rond, on connaît la fin avant d’avoir lu le début et rien ne nous surprend…

Heureusement, de plus en plus de pépites émergent, des récits intelligents, profonds, touchants, réfléchis, surprenants… et justement, Soon est de cette catégorie-là. J’avais de grande attente avant de commencer ce récit et je dois avouer que tous mes espoirs ont été comblés !

Alors Soon, c’est quoi ?

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Nous sommes en 2151, quelques jours avant le lancement d’une mission spatiale exceptionnelle dont l’objectif n’est autre que la colonisation d’une nouvelle planète. Un voyage sans retour dont Simone a la chance de faire partie. Quoi que, tout le monde ne voit pas cette mission comme une chance à commencer par son fils, Youri.
Pour leurs derniers jours ensemble, mère et fils entament un road-trip entre les différentes Cités du monde. Ultime réconciliation ou séparation totale ?

Soon est donc un récit futuriste, sur une conquête spatiale à venir. Rien que de très classique me direz-vous. Certes. Mais nous sommes ici avant le lancement où nous suivons les derniers jours sur Terre de celle et ceux qui vont s’embarquer pour ce long voyage sans retour. C’est donc tout autant un roman graphique sur la famille, le destin et nos choix. Un road-trip initiatique, un récit sur l’au revoir, le pardon ou le renouveau. Ajoutez à cela un soupçon d’écologie, une pincée de réflexion sur le futur de l’humanité et vous aurez un petit aperçu de ce qui vous attend à la lecture de cette BD.

Thomas Cadène et Benjamin Adam nous offrent ici un récit dense et diablement bien 2843_P23construit. Tout du long on oscille entre les parties blanches, centrées sur Youri et sa mère, et les parties noires où se dévoile une chronologie fictive des années 2020 à 2151. Les deux parties se répondent et se complètent à merveille ; au fil des pages, les enjeux se dévoilent, l’Histoire se (re)construit. Le graphisme original de Benjamin Adam permet une immersion totale dans l’histoire et participe allégrement à la réussite de ce livre. Tantôt minimaliste, avec une mise en page originale digne d’un jeu de l’oie sur les parties chronologiques. Tantôt épuré pour les parties plus intimes. Un graphisme ambitieux qui détonne avec les illustrations plus classiques dont sont habitués de nombreux.ses lecteur.ices de SF. Ici, l’idée n’est pas d’émerveiller sur des vaisseaux, des architectures ou des paysages mais de rester centré sur l’humain et les relations que nous tissons avec notre environnement (vivant ou non, humain ou non). Un pari qui m’a entièrement convaincue. On se sent comme pris dans une bulle, au plus proche des personnages, tout au long de notre lecture, et pas simple spectateur.

Soon est sans conteste un excellent récit de SF, une BD dense et profonde, portée par un graphisme original, des personnages attachants et des thèmes très forts. À lire et à relire sans modération !

En trois mots : Touchant. Inspirant. Lucide.